Libération

Festival d’Avignon : Noémie Goudal dans l’aire du temps

By Clémentine Mercier

2022

Contemplative et immersive, l’installation monumentale « Anima » donne de la chair aux photographies de nature de l’artiste, fascinée par l’étude des climats anciens.

Petits instants de panique au début du mois de juin… En ce week-end de la Pentecôte, Noémie Goudal et son assistante, Juliette, accordent leurs violons sur un tournage qui a lieu dans quatre jours. Dans le studio de la plasticienne, à Belleville, il faut s’entendre sur la construction d’une enfilade de photographies géantes dans laquelle plongera une caméra comme dans un millefeuille. Tous les tirages ne sont pas prêts et il manque du papier. Car si Noémie Goudal prépare ce nouveau film pour une exposition au château d’Oiron cet été, elle peaufine aussi tous les détails de sa présence aux Rencontres d’Arles et au Festival d’Avignon, pile-poil au même moment. Début juillet, elle devra se dédoubler entre les deux villes : « Tout arrive en même temps. Mon projet à Avignon est devenu une pièce à part entière, ce n’est plus un événement arlésien qui se déplace au festival d’Avignon. Ça va être sport. »

Dans la cour de la Collection Lambert, trois écrans de 6 mètres chacun dérouleront des paysages, et, au cœur de cette installation monumentale, la musculature de l’acrobate Chloé Moglia, virtuose de l’art de la suspension, défiera les lois de la gravité. Pour la première fois, Noémie Goudal insère des corps dans ses images. Présenté comme une performance, le spectacle Anima veut donner du souffle et une chair aux somptueuses photographies de nature de la photographe. Contemplative et immersive, cette performance, pensée pour être joué de nuit, est le résultat d’une collaboration avec la metteuse en scène Maëlle Poésy : «Je suis photographe, admet Noémie Goudal, la question du temps et du rythme m’est inconnue. Ce projet – qui devait être à l’origine modeste – est devenu une usine à gaz car il mêle photographie, vidéo, cinéma, performance et musique. Heureux hasard, Maëlle Poésy vient d’être nommée à la direction du théâtre de Dijon, ce qui a facilité la production.» Anima promet ainsi de pulser puisque Chloé Thévenin (DJ Chloé pour les clubbers), a composé la musique originale avec des battements cardiaques.

Strates emboîtées

A l’entrée du studio de la plasticienne, une énorme imprimante attend de recevoir des instructions. Un peu partout dans les pièces, on trouve des rouleaux de papier. Sur de grandes tables à tréteaux, de larges bandelettes d’impressions photographiques affichent un no man’s land rose. La photographe travaille par couches successives : à partir des découpes de ses photos de paysages, Noémie Goudal monte des structures pour mieux les re-photographier ou les filmer. Au fil du temps, ses prises de vues de forêts, de palmeraies, de jungles, de roches ou de déserts sont devenues de plus en plus complexes : exigeant des lumières, une imprimante dans un camion, des découpes de papiers, des structures et une petite équipe, comme au cinéma. C’est dans son studio de Belleville, souvent, que naissent ces productions toujours plus ambitieuses. « Quand je propose une image, je propose l’expérience qui va avec, explique l’artiste. J’aime que mon atelier soit comme une ruche, j’adore travailler avec des experts, du scientifique à l’ingénieur optique en passant par un spécialiste des effets spéciaux. Ici, on fait nos réunions de travail, on conçoit et fabrique les décors. Puis, tout se crée sur les prises de vues ou sur le tournage. » La photographe, fille d’un architecte du patrimoine et d’une directrice de théâtre à Brétigny-sur-Orge, saisit une reproduction du Saint Jérôme dans son étude d’Antonello de Messine pour expliquer sa démarche. Pendant ses études à Londres (elle a étudié à la Central Saint Martins et au Royal College of Arts), ce tableau de la National Gallery l’a profondément marquée, avec sa composition en plans successifs, qu’Erwin Panofsky avait comparée à une fenêtre ouverte. Depuis, cette idée de strates emboîtées ne l’a jamais quittée. Noémie Goudal cherche à « voir comment on peut parler de temps dans une image ».

La performance Anima puise dans Post Atlantica, son corpus d’images et de films guidé par la paléoclimatologie (l’étude des climats anciens). La photographe est fascinée par cette science, par les flores et les faunes fossiles, les forêts calcinées sous les calottes glaciaires ou les étonnants liens géologiques entre la Bretagne et le Texas… Autant d’indices qu’elle voudrait retranscrire conceptuellement dans ses images… « J’ai envie de regarder le paysage de plein d’angles différents. Le regarder depuis le prisme de son histoire, d’un temps extrêmement long, est magique. Voir le monde comme une entité mouvante, comme le font les scientifiques m’a ouvert des portes. » Voilà pourquoi dans son spectacle, la plasticienne fait se percuter le temps long de la terre avec le temps court de l’homme, incarné à la scène par la circassienne Chloé Moglia : « Qu’est-ce qui peut mieux incarner l’intensité du présent qu’une personne suspendue dans le vide ? »

Puzzle de films

Mais avant que le puzzle de films et de décors ne s’assemble et ne se déploie à Avignon et à Arles – la performance et l’exposition arlésienne se font écho –, des filages et des séances d’étalonnage attendent l’équipe de la photographe. « Il y a une différence de taille entre l’art contemporain et le spectacle vivant, explique-t-elle. Dans l’art contemporain, tu vernis ton expo et, ensuite, tu n’es pas là. Alors que pour le spectacle vivant, tu dois être présent et prendre les bonnes décisions. » A l’échelle paléoclimatologique, il est possible de prévoir la météo. Mais à l’heure du temps de l’homme et du réchauffement climatique, il est difficile d’anticiper. Surtout quand il est prévu que les décors d’Anima fondent au contact de l’eau. « On improvisera », rit la photographe qui, pour l’heure, tient surtout à ne pas gâcher de papier.

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