Maëlle Poésy et Noémie Goudal ont imaginé Anima, une installation visuelle, photographique, musicale et scénique sur la métamorphose des paysages terrestres.
Le mistral est tombé. Une brise légère soulève de manière imperceptible les écrans qui forment un triptyque où sont projetés en plan fixe trois paysages d’une forêt tropicale à la végétation luxuriante. On entend quelques cris de bêtes (oiseaux, singes), le bruissement du vent dans les arbres, à moins que ce ne soit notre imagination qui provoque des hallucinations. Très vite, on est happé, hypnotisé par les images. On est loin d’Avignon, de ce qui nous relie à Avignon, le bruit et la fureur, la chaleur accablante, la foule, partout, qui se presse. Soudain, le silence. Plongée au cœur d’une forêt vierge qui n’a rien d’hostile. Entrelacs de troncs d’arbres exotiques, toutes les nuances de vert se déclinent à outrance. Ces palmiers-dattiers étaient là avant le commencement, avant que le désert avance. Soudain, les images vont s’animer. À l’intérieur d’elles, des techniciens tout de noir vêtus s’affairent et commencent à recoller des morceaux de cette même forêt. Illusions d’optique, enchevêtrement de ces vues qui se font et se défont sous nos yeux par bribes. Le paysage se recompose, évolue au gré des collages sauvages. Leur mission accomplie, les techniciens s’évaporent. Et la nature prend feu. En plusieurs endroits. La forêt brûle et, pour une fois, nous ne regardons pas ailleurs. Les feuilles se recroquevillent, douloureusement, se consument lentement jusqu’à se détacher par lambeaux. Il pleut des cendres, on croirait voir des silhouettes humaines voler et tomber. Sur l’écran de droite, c’est l’eau qui va déclencher l’autre métamorphose. L’eau qui s’écoule goutte à goutte et décolle la toile jusqu’à sa destruction. Superposition d’images, l’une chassant l’autre jusqu’à parvenir à un paysage minéral, on devine un canyon, de la roche, une nature secrète, rescapée.
On admire le technicien qui manipule tout un appareillage de manettes qui évoque un métier de à tisser. On pense aux toiles de Jacques Villeglé (disparu il y a peu), à ses accumulations d’affiches lacérées qu’il récoltait dans les rues pour créer une œuvre plastique des plus singulière et innovante. Si le travail de Villeglé était urbain, celui de la photographe plasticienne Noémie Goudal et de la metteuse en scène Maëlle Poésy est organique. Il questionne les bouleversements de notre écosystème provoqués par le réchauffement climatique. Une histoire sans paroles d’une planète en souffrance. Pas de discours, pas d’injonction, encore moins de morale culpabilisatrice. Anima est un voyage, une traversée, au gré des pluies torrentielles, des feux de forêt, des paysages bouleversés dans leur quintessence, une adresse d’une incroyable douceur au spectateur. On éprouve dans notre chair la destruction de notre planète. C’est fascinant, jamais obscène. La beauté se niche dans ces images où des pans entiers de roche et de glace s’effondrent, sans un bruit. Les samples de Chloé Thévenin épousent les contorsions de la croûte terrestre, obsédantes, entêtantes, et grondent en sourdine, annonciateurs de tous ces mouvements telluriques.
Le geste artistique serait presque apaisant s’il n’interrogeait par en filigrane l’urgence. L’urgence d’agir, avant qu’il ne soit trop tard. On croise deux temporalités, deux mémoires dans cette performance. Le temps long de la Terre, née il y a quelques millions d’années, et celui des hommes, si récent et pourtant si arrogant. Alors, lorsque Chloé Moglia se suspend dans les airs, sans filet, on est subjugué par sa silhouette qui se découpe sur les murs blancs. Elle semble léviter, défie l’apesanteur trouve refuge dans cet espace aérien. L’air, l’eau, le feu, la terre, les quatre éléments sont ainsi convoqués dans cette performance poétique qui interroge notre passé, notre présent mais aussi notre futur. C’est un spectacle en trompe-l’œil qui nous oblige à regarder la réalité en face.
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