Surtout, ne pas se fier aux reproductions sur papier journal ni à l’apparente froideur conceptuelle des photographies de Noémie Goudal. Il faut se rendre sur place, au BAL, à Paris, pour comprendre qu’il s’agit là d’une photographie physique. Voire musclée.
Pour celui qui se confronte à lʼaccrochage, cʼest dès lʼentrée un plongeon dans la matière sombre et laiteuse de grands tirages. Plus de 2 mètres pour les soleils noirs de Station II, IV, V, VI, au rez-de-chaussée. Et, au sous-sol, des images de plus de 4 mètres sur 5 : des photographies dʼarchitectures mi-parkings mi-cathédrales, contrecollées sur d'immenses panneaux en bois, comme un décor de théâtre in situ. Impossible de rester de marbre face à cet impact. Dʼautant plus que ces images piquent la curiosité sur leur fabrication et leur sens.
Impalpable. Pourquoi des soleils noirs ? Que signifient ces morceaux de squelettes urbains qui flottent ? Et dʼailleurs, comment fait-on pour faire léviter des ossements en béton ? Au fond de la première salle, on trouve un stéréoscope de taille humaine. Le nez collé à deux miroirs en biseau qui renvoient à des photos de parois rocheuses, à même les murs sur les côtés. Nos yeux sʼhabituant vite à la 3D, les roches se découpent et prennent du relief, comme avec les jouets pour enfants. Noémie Goudal s'amuse de ces effets d'optique. Elle les décortique aussi. Diplômée du Royal College of Art de Londres, elle est curieuse des origines du regard. Elle raconte, par bribes, lʼobservation du cosmos depuis la nuit des temps : perspectives, observatoires, astres, avec une pointe de désillusion. Rejouant lʼhistoire dʼutopies et de représentations qui sʼessoufflent, mais toujours vivaces.
Si elle a intitulé son exposition « Cinquième Corps », cʼest en référence à lʼéther, cinquième élément après lʼeau, la terre, lʼair et le feu. Autre nom pour le vide, lʼéther est aussi un concept scientifique fourre-tout, dans lequel se loge tout ce qui est mystérieux et impalpable : « Il y a longtemps, on pensait que le ciel et les astres étaient faits d'éther, cʼest aussi dans lʼéther que les dieux reposaient. » Ce cinquième corps est un prétexte pour lancer la machine à fictions, où des photographies oscillent entre imaginaire et réalité. Est-ce encore de la photographie ? « Je me définis comme une artiste, explique Noémie Goudal, mais jʼaime de plus en plus travailler en équipe. Ces images demandent des efforts. » Il y a ceux qui réalisent les décors et puis ceux qui apportent une compétence scientifique, comme ce jeune homme issu de lʼInstitut d'optique qui lʼa aidée à réaliser les calculs pour le stéréoscope. Pour sa série In Search of the First Line, il a fallu effectuer de sérieux repérages pour trouver parkings désaffectés et églises qui puissent sʼhybrider.
Effets spéciaux. Noémie Goudal nʼest pas avare de ses secrets de sorcellerie. Dans lʼexpo, un dépliant avec un making-of est offert. On y voit des échafaudages en métal, des soleils contrecollés sur des panneaux de plusieurs mètres, des jeux de lumière comme des effets spéciaux. Tout cet attirail est posé sur la plage, au bord de l'eau ou dans des champs : « En plein hiver, cʼest dur », commente-t-elle. La nature est comme une scène où vient se nicher son théâtre mental. Dont la présence humaine se serait éclipsée. En sʼapprochant des tirages, on aperçoit sur ses constructions des bouts de papiers retroussés, des imperfections dans les assemblages, et cʼest bien là que la magie opère. Du bricolage, loin du vide des montages sur Photoshop.
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